L’ambassade des États-Unis à Kinshasa a réagi avec une rare fermeté à la catastrophe environnementale provoquée par le déversement minier attribué à CDM, une société chinoise opérant en RDC. Dans un message publié sur X vendredi, la chancellerie américaine dénonce “la négligence” de l’entreprise et son “mépris pour le peuple congolais”. Washington va plus loin : elle rappelle que des employés de la même société avaient enlevé et agressé, en septembre dernier, un responsable américain, Preston Mendenhall, directeur des opérations de Rendeavour. Une affaire qui avait déjà choqué les milieux diplomatiques et économiques.
Au-delà du ton inhabituellement direct, c’est la stratégie diplomatique qui retient l’attention : les États-Unis opposent explicitement les pratiques de CDM à celles “des entreprises américaines respectueuses des normes environnementales, créatrices d’emplois et porteuses de compétences”.
Une manière de tracer une ligne morale entre “bons” et “mauvais” investisseurs, dans un pays devenu l’un des terrains majeurs de la compétition géopolitique mondiale pour les ressources naturelles.
Le recyclage diplomatique d’un discours bien rodé
La réaction américaine met en avant un récit désormais classique : celui de la présence américaine comme vecteur de développement, face à une présence chinoise décrite comme prédatrice, opaque ou dangereuse. Ce discours n’a rien de nouveau. Il s’inscrit dans la rivalité sino-américaine pour le contrôle stratégique des minerais dits “critiques”, dont la RDC est l’un des principaux fournisseurs mondiaux.
Accuser CDM de négligence environnementale, rappeler l’affaire Mendenhall, saluer la suspension de la licence : les États-Unis utilisent un vocabulaire qui dépasse la simple indignation. Ils lui donnent un sens politique, celui d’un partenariat préférentiel fondé sur des valeurs, que la RDC devrait, implicitement, privilégier.
Le poids réel des intérêts derrière les principes
Derrière les dénonciations morales, un autre élément apparaît clairement : ce qui motive les multinationales étrangères n’est pas l’amour du peuple congolais, mais la préservation de leurs propres intérêts stratégiques et économiques.
Qu’il s’agisse d’entreprises chinoises, européennes ou américaines, toutes viennent en RDC pour sécuriser des matières premières essentielles à leurs industries. Les États-Unis ont tout autant besoin du cobalt, du cuivre ou du lithium congolais que la Chine, peut-être même davantage dans le cadre de la transition énergétique.
La catastrophe environnementale imputée à CDM offre ici un exemple classique : les États utilisent les fautes de leurs concurrents pour promouvoir leurs propres entreprises comme des modèles de vertu. Mais aucun acteur ne peut prétendre que cette “ vertu” est l’objectif principal : elle n’est qu’un instrument pour gagner en influence.
Un moment capital pour la RDC
La décision du ministre des Mines, Jean-Charles Okoto Watum, de suspendre la licence de CDM a immédiatement reçu les applaudissements de Washington.
“Nous nous réjouissons de travailler avec le gouvernement pour attirer des investissements responsables”, déclare l’ambassade américaine.
Mais la question fondamentale demeure : qu’est-ce qu’un investissement responsable ? Et surtout : qui doit en définir les critères ?
Si la RDC se contente de choisir entre la Chine et les États-Unis, elle n’est plus actrice, mais arbitre d’un conflit qui la dépasse. Or, l’enjeu réel pour le pays n’est pas d’être un terrain de jeu entre puissances rivales, mais de devenir un partenaire qui impose ses propres conditions.
L’urgence d’un cadre souverain
La RDC dispose d’un levier unique : aucun pays n’égalera jamais son importance dans la chaîne mondiale des batteries et des énergies propres. Mais ce levier n’est efficace que si le pays : •renforce ses mécanismes de contrôle environnemental, •impose des normes strictes à toutes les multinationales, pas seulement à celles qu’un camp géopolitique désigne comme “vertueuses”, •exige la transparence contractuelle, •privilégie les projets créateurs de valeur locale et de transformation sur place.
La catastrophe provoquée par CDM rappelle la fragilité des populations et de l’environnement face à des entreprises dont la logique reste avant tout extractiviste. La réaction américaine, elle, rappelle autre chose : les grandes puissances ne se disputent pas la moralité de la RDC, mais ses minerais.
Les accusations de l’Ambassade américaine contre CDM soulèvent de vraies questions sur la conduite des entreprises minières en RDC. Mais elles mettent aussi en lumière une bataille d’influence où chaque acteur étranger tente de se présenter comme l’allié le plus désintéressé.
Aux autorités congolaises de transformer cette confrontation en opportunité : celle d’imposer un modèle d’investissement réellement responsable, dicté par les besoins et les priorités du peuple congolais, non par les stratégies des multinationales.
Le Tremplin