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Concert de Fally au Stade de France : près d’un million pour un artiste, et les autres ?

  Par Charles Masudi 

Le ministère congolais de la Culture et des Arts a sollicité du gouvernement un budget exceptionnel de 985.000 dollars américains pour accompagner le concert de Fally Ipupa, prévu le 2 mai 2026 au Stade de France, en région parisienne. C’est ce que révèle un document officiel signé par la ministre Yolande Elebe Ma Ndembo, dont la teneur a été confirmée par plusieurs médias nationaux, dont Actualité.cd et 7sur7.cd.

Selon cette note, cette enveloppe vise à “promouvoir la culture congolaise et honorer la rumba, inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO”, Fally Ipupa étant présenté comme un ambassadeur culturel de la RDC.

L’intention paraît noble. Mais le chiffre, lui, interroge : près d’un million de dollars publics pour un artiste, dans un pays où la majorité des créateurs survivent dans l’ombre.

Le détail d’un soutien hors normes

Le budget détaillé couvre, entre autres, l’achat de 5.000 billets (375.000 $), la location de cinq loges VIP (150.000 $), la création d’un espace “Kongo Culture” autour du Stade (120.000 $) et la production d’un documentaire sur la rumba (80.000 $).

Une logique d’"accompagnement institutionnel ", selon le ministère. Mais pour nombre d’observateurs culturels contactés par Le Tremplin, cette approche soulève des questions de fond sur la gouvernance culturelle et les priorités budgétaires d’un secteur en souffrance.

 Un précédent à haut risque

En soutenant un artiste à titre individuel, le ministère crée un précédent lourd de conséquences : qu’en sera-t-il demain des peintres, slameurs, cinéastes ou photographes qui porteront haut les couleurs du pays à l’étranger ? L’État pourra-t-il répondre équitablement à chacun ? Et surtout, sur quelle base objective décidera-t-il qui mérite un tel appui ?

À défaut de mécanismes clairs, ce type de geste nourrit un sentiment d’injustice culturelle. Car pendant qu’un seul projet bénéficie d’un appui spectaculaire, des milliers d’artistes congolais ne disposent même pas d’espaces de répétition, de subventions à la création ou de circuits de diffusion viables.

 Des failles structurelles

Au-delà du cas Fally Ipupa, cette affaire met en lumière un déséquilibre plus profond : le budget national alloué à la culture, historiquement inférieur à 1 % du budget global, ne permet pas de soutenir l’ensemble des acteurs du secteur. Et pourtant, lorsqu’il s’agit d’un événement à haute visibilité, les ressources apparaissent soudain.

Le problème n’est donc pas Fally Ipupa en tant qu’artiste, dont le talent et la trajectoire sont indéniables, mais le modèle de politique culturelle que ce geste illustre : une politique événementielle, réactive, parfois clientéliste, au détriment d’une vision structurelle.

 Entre art et entreprise : quelle frontière ?

Un autre point de friction concerne la nature juridique des bénéficiaires d’un tel financement.

Fally Ipupa n’est pas une institution publique, ni une ONG culturelle : il dirige une structure privée, avec billetterie, management et partenariats commerciaux.

Dans ce contexte, l’intervention directe de l’État interroge :● Les orchestres congolais sont-ils considérés comme entreprises à but lucratif ou associations culturelles ?● L’État peut-il, au nom de la diplomatie culturelle, injecter des fonds publics dans une activité commerciale sans cadre légal clair ?

Tant que ces zones grises ne sont pas encadrées par des textes, la frontière entre promotion culturelle et subvention privée reste floue.

Et les autres talents du Congo ?

La question, enfin, est celle de la justice distributive. Le Congo regorge de musiciens de talent, mais aussi de chercheurs, inventeurs, ingénieurs, sportifs, chorégraphes et plasticiens qui portent haut le drapeau national sans jamais bénéficier d’un tel soutien. Ce déséquilibre alimente un malaise : le mérite semble parfois dépendre de la notoriété plutôt que de la contribution au bien commun.

Le concert de Fally Ipupa au Stade de France sera sans doute un moment historique pour la rumba congolaise. Mais le choix de l’État d’y consacrer une enveloppe publique de près d’un million de dollars appelle une réflexion nationale sur la gouvernance culturelle, la transparence des subventions et la nécessité d’un cadre juridique clair pour éviter que la culture congolaise ne devienne un terrain de privilèges individuels plutôt qu’un bien collectif.



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