La condamnation à mort de l’ancien président Joseph Kabila par la Haute Cour militaire a déclenché un véritable séisme politique en République démocratique du Congo. Entre indignation, dénonciation de dérive autoritaire et soupçons d’instrumentalisation de la justice, plusieurs voix, issues de la classe politique, de la société civile et du monde juridique, se sont levées pour condamner unanimement ce qu’elles qualifient de “ procès politique” et de “ mascarade judiciaire”.
Un procès à forte connotation politique
Pour Francine Muyumba, cadre du Front Commun pour le Congo (FCC), cette condamnation est " une dérive qui fragilise davantage notre pays et divise au lieu de réconcilier ". Elle déplore un climat de haine, et appelle plutôt à " la réconciliation, la paix et la stabilité ".
Une position partagée par Jean-Claude Katende, président de l’ASADHO, qui estime que cette décision " fragilise davantage le pays " et représente une atteinte grave à l’État de droit.
Le FCC, dans une déclaration officielle, voit dans cette condamnation “ celle de l’État de droit et de toutes les conquêtes démocratiques obtenues de haute lutte ”, dénonçant une procédure “ illégale de bout en bout ”.
Des accusations d’instrumentalisation de la justice
Le journaliste engagé Louis-France Kuzikesa n’a pas mâché ses mots, accusant directement le président Tshisekedi d’ingérence : “ Ce procès ne vient que dépouiller le président Tshisekedi du maigre 2% de crédibilité qu’il lui restait. " Selon lui, la justice congolaise est désormais un instrument de vengeance, preuve que "le Congo est gouverné par l’état des Hommes, et non par des Hommes d’État ”.
Un constat partagé par plusieurs autres figures politiques. Jean-Claude Kibala, ancien ministre et député, s’inquiète du moment choisi pour une telle condamnation : " Alors que le pays est en guerre, c’est une prise de risque aussi spectaculaire que périlleuse. " Il y voit une tentative cynique de créer le chaos pour mieux en tirer profit politiquement.
Une procédure qualifiée d’illégale
Sur le plan juridique, les critiques sont encore plus sévères. Grâce Ibanda, juriste, qualifie la décision de "trahison du droit". Il évoque une série de violations graves : absence de preuves tangibles, non-respect de l’article 156 de la Constitution (interdiction de juger un civil devant une juridiction militaire), et non-conformité avec les normes internationales relatives au droit à un procès équitable.
Selon lui, “ce procès est illégal dans sa forme, arbitraire dans sa conduite et inique dans son objectif ”. Elle parle d’ “un scandale moral” , dénonçant le coût exorbitant du procès (3 millions de dollars), et soulignant la misère de la population congolaise.
Félix Kabange Numbi, ancien ministre et membre influent du FCC, dénonce une “ parodie de justice ” sans “ un seul élément concret ”. Ferdinand Kambere, avocat et ancien député, qualifie le procès de "procès de honte", affirmant que la cour a agi sur ordre du régime en place.
Entre indignation et ironie
Plusieurs intervenants n’ont pas caché leur colère, voire leur ironie. Barnabé Kikaya, ancien proche conseiller de Kabila, aujourd’hui en exil, ironise : “On condamne Joseph Kabila pour soi-disant être le chef de l’AFC-M23, pendant qu’on négocie avec la même AFC-M23 à Doha”.
Enfin, Jean-Claude Kibala résume l’ambiance délétère par une formule choc : “Les dés sont jetés. Michael Buffer dirait : “Let’s Get Ready to Rumble.” ”
Une justice à la croisée des chemins
Cette affaire pourrait constituer un tournant décisif dans l’histoire politique récente de la RDC. Pour beaucoup, au-delà du cas Kabila, c’est l’indépendance de la justice, la crédibilité des institutions et la stabilité du pays qui sont désormais en jeu. Entre crainte d’un retour de la violence et appel à la sagesse républicaine, les réactions traduisent une inquiétude profonde face à ce que plusieurs qualifient de dérive autoritaire.
Le verdict judiciaire est tombé. Mais le verdict politique, lui, est loin d’avoir été rendu.
Le Tremplin